L'Enfer de Matignon

L'Antichambre, ou les premiers pas dans l'enfer. Nomination, passation de pouvoir, constitution du gouvernement, ce premier volet de L'Enfer de Matignon dévoile les dessous de la prise de fonction du Premier ministre. Une étape déjà semée d'embûches. D'abord, il y a toutes les subtilités et les surprises de la nomination. Selon la Constitution, le président de la République a le droit de nommer à cette fonction qui il veut et quand il le veut. La passation, un autre moment de tension. Celle entre Rocard et Chirac est la plus amicale, peut-être la seule. L'ombre du président de la République, quel qu'il soit, plane sur les débuts de cette fonction, notamment dans le choix du gouvernement, parfois imposé.

Douze ex-Premiers ministres lèvent le voile sur les difficultés et l'ampleur de leur tâche. Les fameux 100 jours, l'état de grâce pendant lequel tout est encore possible. Le Premier ministre doit savoir en tirer profit. Décider, c'est sa principale mission. Les sollicitations sont permanentes, les réunions de ministres régulières et les sujets très variés. "Il arrive souvent que l'on vous arrache une décision entre deux portes", déclare Michel Rocard. Arbitrer, se confronter à de fortes personnalités, tenir tête aux techniciens, dire non, mais aussi assumer ses responsabilités, ce sont toutes les difficultés de la prise de décision.

Ce troisième volet éclaire les relations qu'entretient le Premier ministre avec les hommes qui l'entourent. D'abord les relations entre le président et le Premier ministre qui soulèvent une question : le Premier ministre est-il assujetti au président ? Les interprétations divergent et la Constitution laisse un vide. Point d'orgue et symbole du pouvoir : le Conseil des ministres. Pourtant, les décisions sont prises par le président et le Premier ministre avant le rituel du mercredi matin. Le Premier ministre doit imposer sa ligne aux hommes et aux femmes du gouvernement, une quarantaine environ et autant de personnalités, d'ambitions. Là encore, rivalités et luttes de pouvoir vont bon train. Tous les coups sont permis. Un classique : le court-circuit, qui consiste pour les ministres à s'adresser directement au président. Et puis, tentation ultime : briguer la place du président. Mais un Premier ministre peut-il devenir président ?

Comme il a été aimé, le chef du gouvernement est ensuite détesté, preuve à l'appui avec les images d'archives. Il devient le bouc émissaire. Le Premier ministre est donc sous surveillance. Le prêt de Pierre Bérégovoy, l'appartement d'Alain Juppé, le passé trotskyste de Lionel Jospin, l'affaire Clearstream de Dominique de Villepin : chacun a son affaire. La fonction est-elle moins lourde lors de la cohabitation, quand le couple exécutif est le fruit d'un mariage forcé ? Arrive la démission, après deux ans et demi d'exercice en moyenne. Pour certains, une délivrance. Chacun passe par un sas de décompression avant de reprendre le cours normal de sa vie. A moins qu'elle ne s'arrête brutalement, comme pour Pierre Bérégovoy en proie, selon Laurent Fabius, à une "réelle dépression". Le mot "fusible" est celui qui revient le plus souvent pour qualifier cette fonction complexe dont ces douze ex-Premiers ministres peuvent aujourd'hui tirer un bilan et dessiner l'avenir.